À Paris, en novembre 2025, il y a un signe qui ne trompe plus. Quand tu croises quelqu’un dans le Marais, à la sortie du café de la Perle ou en descendant l’escalier du Palais de Tokyo, et que sa chemise semble légèrement tordue sur elle-même, un pan rentré, l’autre pas, le col un peu de travers, tu sais. C’est une Lemaire. Et plus précisément, c’est la chemise « twisted » qui, en deux saisons à peine, est passée de curiosité de défilé à vêtement le plus copié, le plus désiré et le plus invisiblement ostentatoire de la capitale.
L’objet qui a tout changé
Elle est arrivée sans prévenir lors du défilé Printemps-Été 2024. Une chemise d’homme en popeline de coton blanc, boutonnée de travers, le pan gauche plus long que le droit, le col légèrement désaxé, comme si le mannequin l’avait enfilée en courant. Les rédactrices ont d’abord cru à une erreur de stylisme. Puis elles ont compris : c’était le point de départ d’une révolution discrète.
Aujourd’hui, la « twisted shirt » existe en trois versions permanentes : blanche, bleu oxford très pâle, rayée tennis très fines. Il y a aussi les éditions saisonnières : kaki délavé, brique oxydée, noir profond. Toutes ont la même particularité : la boutonnière est décalée de 4 cm vers la gauche, la base est asymétrique, les manches sont volontairement trop longues. Le tissu, un coton égyptien 120 fils lavé trois fois, tombe lourd et souple, comme une chemise qui aurait déjà vécu dix ans.
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Pourquoi les Parisiens l’ont adoptée en silence
Parce qu’elle fait exactement l’inverse de ce qu’on attend d’un vêtement « tendance ». Elle ne crie pas. Elle n’a pas de logo. Elle ne brille pas. Elle ne coûte pas 1500 € (autour de 420 €, ce qui reste cher, mais pas insultant). Et surtout, elle ne te rend pas immédiatement identifiable. Au premier regard, on croit juste que tu portes une vieille chemise mal repassée. Au deuxième regard, on comprend que c’est voulu. Au troisième, on reconnaît la patte Lemaire. Et là, c’est trop tard : tu es déjà dans le clan.
Elle fonctionne dans tous les contextes. Avec un jean brut et des baskets blanches, elle fait étudiant en architecture. Avec un pantalon large en laine froide et des derbies, elle fait galeriste du Marais. Avec un costume anthracite déboutonné, elle fait directeur artistique qui sort d’un rendez-vous chez Dries. Elle est devenue la chemise-caméléon des gens qui refusent les uniformes visibles.
L’art du détail qui rend fou
Christophe Lemaire et Sarah-Linh Tran ne laissent rien au hasard.
- Les boutons sont en nacre mate, pas brillante.
- Les coutures sont anglaises, invisibles.
- Le col est sans baleines, mais tient parfaitement grâce à une entoilage ultra-léger.
- La poche poitrine est placée 2 cm plus bas que la normale, juste assez pour que ça gêne l’œil habitué.
- L’ourlet est brut, mais roulotté à la main, jamais découpé net.
Le résultat ? Une chemise qui a l’air négligée mais qui est en réalité l’une des plus techniques du marché. Et c’est précisément cette contradiction qui rend les Parisiens accros.
Comment elle se porte vraiment (les règles non écrites)
Il y a un code, bien sûr.
La règle d’or
Jamais repassée parfaitement. On laisse quelques plis, on froisse légèrement le col, on rentre seulement un côté dans le pantalon. L’asymétrie doit être visible, mais jamais forcée.
Les associations gagnantes
- Avec le pantalon « croissant » en laine froide gris anthracite, rentré dans des bottes en cuir vieilli.
- Avec un cardigan oversized en alpaga beige, ouvert, par-dessus un t-shirt blanc fin.
- Avec un blouson en cuir noir court, pour le contraste entre la douceur de la popeline et la rudesse du cuir.
Ce qu’il ne faut surtout pas faire
Ne jamais la rentrer entièrement. Ne jamais la boutonner jusqu’en haut. Ne jamais la porter avec une cravate (sauf si tu t’appelles Christophe Lemaire lui-même).
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Où et comment se la procurer avant la rupture
La chemise « twisted » est en permanence sold out sur le site Lemaire. Les réassorts ont lieu le mercredi à 11 h, sans prévenir. Les boutiques de la rue de Poitou et de la rue Madame reçoivent 25 pièces par couleur tous les 15 jours. Il y a déjà des listes d’attente manuscrites chez Dover Street Paris et The Broken Arm.
Sur le marché secondaire, une blanche taille M se revend 750 € sur Vinted (contre 420 € retail). Les rayées tennis partent à 900 €. C’est officiellement devenu le vêtement le plus rentable de l’année.
Le mot de la fin
La chemise « twisted » n’est pas juste une chemise. C’est une déclaration. Elle dit : je connais les codes, je les maîtrise assez pour les tordre. Elle dit : je n’ai pas besoin de logo pour qu’on sache que je sais. Elle dit : à Paris, en 2025, l’élégance véritable est celle qui fait douter si c’est fait exprès ou pas.
Et tant qu’il y aura des Parisiens qui refusent de ressembler à tout le monde, il y aura des chemises Lemaire mal boutonnées dans les rues du 3e arrondissement. C’est peut-être ça, au fond, le vrai luxe français aujourd’hui.


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